Les forfaits fiscaux octroyés aux riches étrangers ont été sujets à de vives discussions ces dernières années en Suisse. Nous pouvons résumer de manière générique le sens de ce débat par la tension entre deux polarités qui se manifestent contradictoirement dans l’environnement politique helvétique. En effet, au niveau externe, le marché économique suisse a un grand intérêt à capter, avec la plus grande efficience possible, les avoirs en capitaux aux mains de riches citoyens étrangers : les collectivités locales, au moyen de nombreuses taxations fiscales, en tirant ensuite des avantages financiers et structurels conséquents (160mio d’impôts environ concernés pour Genève). Toutefois, à un niveau interne, des voix domestiques s’élèvent contre ce traitement « privilégié » accordé à ces citoyens du monde – à la recherche de stabilité pour leurs avoirs personnels : l’agir des autorités fiscales, quoiqu’économiquement rentable pour l’ensemble des parties prenantes, est alors fragilisé par le mécontentement « politique » de certains individus – tout particulièrement la classe des travailleurs se sentant lésés, car taxés plus fortement en termes pondérés.

Face à cette dialectique de tensions, nous pouvons noter, sur le plan externe, que la Suisse est depuis la crise économique mondiale de 2008 constamment mise sous pression internationale quant à son système fiscal. Ainsi à partir de 2013, cette pression s’est davantage accentuée et une réforme pour les régimes proposés aux sociétés étrangères, comme l’échange automatique d’informations, ont été demandés par la vox mundi. Ce faisant, ces requêtes ont engendré respectivement la soumission de la RIE III (réforme sur l’imposition des entreprises, toujours en cours) au peuple et l’abolition de fait du secret bancaire en Suisse.

Au niveau interne, le peuple helvétique a rejeté le 30 novembre 2014 l’initiative pour l’abolition des forfaits fiscaux à hauteur de 59.2% – les cantons latins à plus de 65%. Il faut ici préciser le contexte de l’année 2014, sur les 5382 personnes étrangères imposées d’après la dépense, 75% d’entre elles étaient domiciliées dans un canton latin. Outre Sarine, des cantons ont aboli le système fiscal à forfait – à l’image des cantons de Zürich et Bâle-Ville qui font office de têtes de gondole des opposants à ce modus operandi. Néanmoins, bien qu’il y ait disparité cantonale dans la matière, le rejet a été homogène et appliqué par tous les cantons mis à part Schaffhouse.

La stabilité interne étant acquise et maîtrisée par voie démocratique, il faut maintenant mettre en lumière le lien qui unit l’avenir des forfaits fiscaux en Suisse avec les deux éléments externes mentionnés plus haut et instigués par la pression des agents politiques mondiaux. Tout d’abord, nous pouvons remarquer que l’opinion mondiale tolère la pratique des forfaits fiscaux et que des pays comme l’Autriche, la Grande-Bretagne ou encore le Portugal opèrent de manière analogue. De plus, comme les individus étrangers à forfait ne travaillent pas tangiblement en Suisse ; leur venue sur place est conséquente à celle de leurs avoirs personnels. Ainsi, bien que la levée du secret bancaire ou la RIE III ne touchent pas explicitement la politique fiscale relative aux forfaits fiscaux, elles touchent directement les propriétaires étrangers habitant sur place et taxés à forfait.

Les conséquences de ces évènements sont rapidement apparues : fin 2016, le nombre de contribuables étrangers imposés à forfait a baissé de 336, par rapport à 2014, passant à 5046 personnes. Cependant, les recettes de la Confédération, des cantons et des communes liées à cet impôt ont augmenté de 27 millions au regard de 2014, s’élevant à un total de 767 millions de francs.

Finalement, au vu des résultats fiscaux favorables de 2016 relatifs à l’imposition à forfait fiscal, nous pouvons mettre en exergue que face aux tensions binaires externes et internes les autorités politiques suisses – tout comme le peuple à travers sa votation – ont négocié judicieusement les turbulences face auxquelles ils se sont trouvés bon gré, mal gré en prenant les bonnes décisions (lancer l’initiative RIE III, lever le secret bancaire, refuser l’abolition des forfaits fiscaux). Cette manière d’appréhender tranchée face à des problèmes pas si faciles à articuler est l’illustration même de la raison qui amène les riches citoyens, en recherche de stabilité, à emménager en Suisse.